Capgeris
AFRESC : Action Formation Recherche Evaluation en Santé Communautaire. Pouvez-vous nous éclairer sur la dénomination de votre association ?
Sébastien LODEIRO
Cet acronyme dans sa prononciation fait référence à la technique de peinture murale de « la fresque » qui permet de conserver plus longtemps les couleurs que ne le permettait auparavant la peinture sur support classique. Cela garde un sens particulier pour nous car je crois que dans notre travail il y a ce souci d’« une manière » de donner à voir une représentation du monde contemporain et des enjeux qui l’animent qui puisse faire sens pour ses acteurs et perdurer au-delà des modes et des idéologies de surface.
Cette « manière » de l’Afresc repose sur une pensée issue des sciences humaines que nous déclinons sous forme d’outils, de méthodes, de valeurs pour renforcer la démarche de projet dans le champ de la santé, de l’éducation et du médico-social. L’action, la formation, la recherche et l’évaluation constituent les éléments essentiels pour renforcer un projet et la capacité de chacun à y prendre part. Les individus doivent en quelque sorte se donner les moyens de devenir acteurs. Ce qui les a rassemblé doit rester vivant dans l’organisation pour maintenir l’esprit du projet. Les missions, les procédures, les règles ne doivent pas entamer une certaine communauté d’esprit à laquelle nous attachons une importance primordiale à l’Afresc.
Capgeris
Quelle est la genèse de sa création ?
Sébastien LODEIRO
C’est justement d’une certaine communauté d’esprit que le projet de l’Afresc est né en 1987 à l’initiative du Docteur Michel Bass, médecin de santé publique qui dirige toujours l’association. C’est une aventure qui a rassemblé dès le début des chercheurs en sciences humaines, des professionnels de santé et du social (qui portent souvent plusieurs de ces casquettes) en décalage avec une approche classique de la santé et du social centrée sur le soin, la réparation, le service aux personnes pour développer une autre façon de travailler avec les gens.
Il y a une tradition « alternative » à l’Afresc fortement ancrée dans des pratiques coopératives et participatives pour faire évoluer notre système social et de santé. Nous voulons être des acteurs du changement de la culture de projet et cela nécessite une éthique du travail, un engagement, une pensée et des outils qui se sont fondés au fil des rencontres et des expériences de l’Afresc et restent l’expression de cette communauté d’esprit.
Capgeris
Quels sont ses objectifs, ses domaines de compétences ?
Sébastien LODEIRO
Notre association a pour but de promouvoir la participation de la société civile dans les politiques publiques. Par exemple nous développons une approche globale de la santé. Cela signifie que la santé n’est pas uniquement une affaire privée que l’on discute avec son médecin ou une affaire de recensement de pathologie sur nos territoires.
L’AFRESC souhaite faire évoluer notre culture de la santé vers une meilleure prise en compte des enjeux de santé directement liés à nos modes de vie, notre travail, notre modèle économique et social, notre environnement, notre modèle politique. Il s’agit d’identifier et d’analyser l’impact de notre modèle de société sur notre bien être. C’est une question essentielle qui permet de produire de nouvelles connaissances, de nouveaux concepts qui constituent une réforme de nos modes de concevoir les problèmes de santé. Le système de santé ne devient questionnable que si l’on sort des logiques d’experts qui le réalisent et pour ce faire il doit être évalué, analysé et transformé en associant les usagers et les habitants de nos territoires.
En définitive, ce sont bien les gens qui vont décider de fumer, boire ou adopter des comportements à risques. En nous inscrivant dans le champ de la promotion de la santé de la Charte d’Ottawa de l’OMS (1986) nous développons une approche de la santé globale dans un « processus qui confère aux populations les moyens d'assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, et d'améliorer celle-ci ». Nous pensons qu’il faut donc associer les populations dans nos travaux pour améliorer les politiques publiques. Je dirais que nous sommes certains que les démarches coopératives sont seules capables de faire évoluer les institutions et services publics vers une meilleure efficacité. En effet les autres approches sont managériales, organisationnelles ou orientées sur une privatisation des services – or trop souvent ces démarches échouent parce qu’elles écartent la finalité de ces services qui est de contribuer à améliorer les conditions de vie. Ni le Marché ni l’Etat ne sont en mesure de réaliser ce projet sans la participation de la société civile, première concernée par ces services. Ce défi d’ouvrir des champs traditionnellement maîtrisés par l’expertise revient pour nous à permettre aux sciences humaines d’investir le champ du social et de la santé pour donner une légitimité à une appréhension plus collective des enjeux contemporains autour de ces questions.
Capgeris
Vous faites référence sur votre site http://www.afresc.org/ à la notion « d’approche communautaire de la santé ». Pouvez-vous de manière synthétique expliquer à nos lecteurs ce concept ?
Sébastien LODEIRO
La santé communautaire défend cette approche globale de la santé et développe une méthodologie de travail qui active les ressources de nos territoires en fondant de « la communauté » autour des projets de santé. C’est une démarche qui renforce les dynamiques collectives en créant des réseaux hétérogènes (élus, professionnels, associatifs et population) pour intervenir sur les problématiques de santé. Cela demande une maîtrise des dynamiques de groupe et des techniques d’animation précises pour « confronter » les logiques des différents acteurs sur un territoire.
L’AFRESC tente de faire évoluer les pratiques professionnelles en renforçant la coopération des populations des territoires à la réalisation de projet de santé. Depuis 30 ans, la santé communautaire reste le principal « empêcheur de penser en rond » de la santé trop souvent fondée sur une pensée consensuelle que d’autres acteurs (professionnels médico-sociaux, acteurs économiques et politiques, population) ont du mal à investir. Les savoirs experts s’imposent dans les pratiques et délaissent d’autres regards plus attentifs au vécu des patients et des usagers. Elle reste ainsi à la marge de la santé publique puisqu’elle fait de la santé un objet de débat public sur nos territoires. En cela elle développe un questionnement sociopolitique sur la démocratie et la participation citoyenne qui manque cruellement aujourd’hui.
Capgeris
L’AFRESC est notamment spécialisée dans l’évaluation. Pouvez-vous nous en dire plus ? Qu’en est-il de votre habilitation par l’ANESM à l’évaluation externe des ESSMS ?
Sébastien LODEIRO
L’AFRESC est une association qui promeut la participation des usagers dans les projets et par là-même, l’évaluation telle que nous la concevons se doit d’impliquer les bénéficiaires de nos actions. Ce n’est pas pour nous uniquement une question démocratique mais c’est aussi une question d’efficacité d’action. En donnant une valeur à la parole des usagers et à leur vécu, un établissement trouve une source d’information légitime pour réinterpréter ses actions hors des représentations professionnelles ou encore franchir les barrières institutionnelles qui cloisonnent la réflexion.
L’évaluation est une phase essentielle des projets qui permet de prendre un regard distancé des pratiques quotidiennes et de s’interroger en profondeur sur ce que l’on fait. Elle n’est légitime que dans une volonté d’amélioration des projets. Lorsqu’elle est motivée par le désir de contrôle et des enjeux de pouvoir internes les individus développent des stratégies de défense qui biaisent la réflexion et peut rendre l’évaluation « agressive » et finalement inefficace. L’essentiel est de saisir l’opportunité de remettre le projet à plat et que chacun des acteurs soit en mesure de coopérer à la réflexion dans une pédagogie qui permet l’appropriation des résultats par tous. Pour nous, l’évaluateur externe doit pouvoir proposer un regard fondé sur une méthode et des outils clairs en laissant à chacun le droit de compléter, de contester et d’argumenter les résultats. Dans notre expérience l’appropriation des orientations issues de l’évaluation est plus grande lorsque les débats sont intenses autour des résultats. Le rapport définitif d’évaluation doit inclure le produit de cette réflexion collective sans jamais devenir un objet consensuel et complaisant.
Nous faisons partie des premiers organismes à avoir été habilités par l’ANESM car pour nous il était tout naturel que nous collaborions avec l’ANESM sur ce travail d’évaluateur que nous exercions dans le champ de la santé et du médico-social déjà bien avant la loi 2002. Notre expérience en évaluation est importante et notre équipe réunit les compétences sollicitées pour mener à bien ces évaluations.
Capgeris
Vous êtes vous-même sociologue, membre de l’AFRESC. Qu’est-ce qui vous a amené à rejoindre l’AFRESC ? Quelles sont vos fonctions au sein de l’association ?
Sébastien LODEIRO
J’ai rejoins l’AFRESC car j’y ai trouvé un état d’esprit original alliant l’indépendance, l’honnêteté et la rigueur intellectuelle ; ce qui m’a motivé pour investir le champ de la santé que je ne connaissais pas du tout à l’époque. J’y ai appris mon métier de sociologue et trouvé les espaces d’expression, de réflexion et d’action que je cherchais. Le travail à l’AFRESC m’a conduit sur de nombreux territoires où nous coopérons régulièrement avec des élus, des professionnels, des habitants qui marquent notre mémoire et notre réflexion. On est aussi aux premières loges pour « observer » les coulisses de nos institutions et être à l’écoute des difficultés des professionnels et des populations.
J’occupe la fonction de chargé de projet, j’élabore, je pilote et coordonne les projets qui me sont confiés du début à la fin. J’interviens directement dans l’élaboration des outils, je mène des entretiens, anime des réunions, interprète les résultats, analyse les données statistiques et démographiques, rédige les rapports et forme les professionnels territoriaux à la méthodologie de projet, diagnostic des besoins et à l’évaluation… pas mal de choses en fait.
Capgeris
Quels sont les profils des intervenants auprès de l’AFRESC ? Combien de personnes y travaillent ?
Sébastien LODEIRO
L’AFRESC associe des gens qui cumulent souvent des expériences de professionnels du champ éducatif, social, médical et médico-social avec une formation de chercheur en sciences humaines. Par exemple le docteur Bass est médecin de santé publique, ancien responsable du service santé et famille d’un conseil général, médecin coordinateur EPHAD, parmi nos 2 psychosociologues l’un est ancien éducateur de jeunes enfants et l’autre est issue du développement communautaire international et membre d’Emmaüs, notre statisticien-informaticien est sociologue de formation, ce qui nous rassemble c’est notre intérêt pour les pratiques participatives et coopératives. Actuellement nous sommes 5 intervenants permanents dans l’équipe mais l’AFRESC mobilise occasionnellement d’autres intervenants de notre réseau lorsque certaines de nos missions requièrent d’autres compétences.
Capgeris
Quels types de missions proposez-vous aux établissements et services que vous accompagnez ?
Sébastien LODEIRO
Nous réalisons des formations, suivis de projets, évaluations, des études, des diagnostics dans les champs de la santé, de l’éducation et du social. Nous travaillons avec les collectivités territoriales, les institutions, les associations, les établissements médico-sociaux dans leurs démarches de projet et management public. Nous réalisons les schémas et projets de service pour l’action sociale et la petite enfance. Nous menons des évaluations des politiques publiques, des services de santé et médico-sociaux, des recherches sociologiques et anthropologiques sur la santé, nous accompagnons aussi les programmes de santé communautaire et les démarches de réseaux coopératifs. Nous avons aussi mené il y a 2 ans, une évaluation participative d’un programme de développement communautaire de la Banque mondiale en Afghanistan.
Capgeris
Pourriez-vous nous décrire l’une de vos réalisations qui vous a le plus marqué ? Pourquoi ?
Sébastien LODEIRO
C’est un diagnostic de santé pour la communauté urbaine de Dunkerque lors duquel nous menions des entretiens avec des habitants de la commune voisine de Saint-Pol. Les gens nous ont accueillis en nous lançant « Si vous venez nous dire qu’il faut arrêter de fumer et de boire ce n’est pas la peine, vous pouvez rentrer, on le sait déjà ! ». Je leur ai répondu « ça tombe bien, on préfère parler de votre santé ! ».
Cela a permis tout de suite de replacer la santé au-delà du discours sur les normes et les comportements ascétiques prônés pour la bonne santé. On a pu parler de la pollution des industries pétrochimiques du littoral, des problèmes d’emploi, de l’habitat, des relations parfois difficiles entre les habitants et l’hôpital, de la participation fantôme proposée dans les conseils de quartier, du manque d’écoute de la population par les institutions, bref d’ouvrir plus largement les débats sur les facteurs déterminants de santé sur un territoire, là où les professionnels avaient identifié des besoins prioritaires de santé sur l’alimentation et l’obésité.
La confrontation des professionnels et des habitants a permis de rendre possible l’analyse de ce décalage et de construire en coopération avec les professionnels les besoins de santé au-delà du soin et des pathologies.
Capgeris
Est-ce que l’AFRESC intervient dans le secteur des établissements d’accueil des personnes âgées ?
Sébastien LODEIRO
Oui, essentiellement à travers les travaux que nous avons menés pour définir et accompagner les projets de services et schémas départementaux de la santé et de l’action sociale (Ile et vilaine, Seine et Marne,…) qui nous ont conduit à élaborer des projets de service sur la question des personnes âgées. L’expérience du docteur Bass en tant que médecin coordinateur EHPAD, de responsable de la santé et de la famille dans un conseil général en charge des personnes âgées et de la qualité des services à domicile et en établissement nous apporte beaucoup. De plus le Dr Bass à exercer la profession de médecin généraliste ce qui vient enrichir ces expériences sous un angle plus individualisé.
Capgeris
Quelle est votre vision prospective des évolutions majeures qui vont marquer le domaine médico-social et plus particulièrement celui des personnes âgées dans les années à venir ?
Sébastien LODEIRO
Dans les 30 prochaines années notre pays va devoir faire face à l’explosion démographique des personnes âgées issues du fameux baby boom. Cette génération a généralement bénéficié de bonnes conditions de vie et a pu être préservé des guerres, des restrictions, des grandes infections qui marquaient l’existence des générations précédentes. En même temps, cette génération a été relativement moins exposée aux problématiques actuelles de toxicité de notre environnement (pollution, « mal-bouffe »,…), de l’accélération de nos modes de vie, de la pression au travail… En matière de perspectives bien que la médecine fasse des progrès fantastiques en terme de soins, on voit la question des pathologies ré-émerger à travers les maladies chroniques (cardiopathies, accidents vasculaires cérébraux, cancer, affections respiratoires chroniques, diabète...) qui représentent aujourd’hui 60% des décès dans le monde. Les gens vivent plus longtemps mais développent des pathologies plus jeunes, ils sont malades plus longtemps ce qui entraîne des problèmes de dépendance. Cet état de fait va jouer énormément sur la manière de devoir prendre en charge ces populations ainsi que les coûts que cela va engendrer.
En même temps aujourd’hui le désir des gens est souvent de rester chez eux et donc l’idée d’accueillir la vieillesse en institution est en train de changer radicalement, je rappelle que l’âge moyen d’arrivée en EHPAD est de 85 ans. Si l’aide à domicile va se développer (c’est le cas aujourd’hui avec de nombreux services à domicile assurés par des associations) cette alternative très coûteuse va être freinée par l’insolvabilité des personnes. Les enfants ne pourront pas s’occuper au quotidien de leurs parents, et une grande partie des gens ne pourra pas se payer des services d’assistance aux personnes âgées. Il faudra bien inventer quelque chose qui puisse se situer entre l’aide de la famille et celle des services et des institutions car ni l’une l’autre ne pourront assumer une prise en charge totale.
C’est ici que l’approche communautaire que nous défendons à l’AFRESC doit pouvoir jouer son rôle intermédiaire et dynamiser les ressources souvent « invisibles » des populations. Nous pensons que le développement de réseaux de solidarité communautaire peut permettre d’organiser de façon souple et novatrice les ressources locales. Il s’agirait d’inciter localement, dans les cages d’escalier, les quartiers, les gens à prendre en main ces problématiques de la vieillesse pour les autres et pour leur propre avenir. Car si l’on dit souvent que notre avenir ce sont les jeunes, je crois qu’il est dangereux d’oublier que notre avenir c’est aussi la vieillesse.
Monter des coordinations communautaires localement doit permettre d’encourager les solidarités intergénérationnelles autour du domicile, en évitant des règles contraignantes et des obligations que l’on a peur de ne pas pouvoir assumer. Nous pensons que cette articulation organique entre le rôle des familles, celui des voisins et des professionnels est possible et souhaitable pour tous. Réinscrire les personnes âgées dans la vie sociale c’est aussi encourager chacun à être un acteur du monde présent. Ces pistes de travail permettent de questionner les réponses actuelles de notre société qui tendent à protéger les personnes âgées en les retirant du flot de la vie sociale pour une collectivité de semblables parfois un peu « étouffante ». Les gens peuvent vouloir intégrer un établissement mais ne souhaitent pas être coupé de la vie sociale. Aussi d’autres pistes de travail autour de l’hébergement sont possibles : rassembler une maison pour personnes âgées, avec un Foyer de Jeunes travailleurs, un foyer pour les mères célibataires et une crèche, une résidence sociale pour étudiants avec des espaces publics communs (restaurant, bibliothèque…). Cela permettrait d’éviter l’entre-soi et de voir plus souvent des jeunes, des enfants et des personnes âgées ensembles.
Capgeris
Un dernier mot à nos lecteurs ?
Sébastien LODEIRO
Ces orientations peuvent inspirer des craintes car rien ne semble aujourd’hui plus risquer que de faire confiance à d’autres. La confiance est soumise à l’exigence du contrôle qui fait prospérer les services privés ou publics aux personnes. Mais quelle « société » peut se permettre de nier l’interdépendance de nos destins pour se payer le fantasme narcissique d’éviter d’être dépendant des autres ?
La vieillesse est ici une sage leçon du bout de la vie qui nous rappelle à cette condition de dépendance. Renforcer le rôle de la société civile, lui permettre de s’organiser, de donner du temps aux affaires collectives demande de retrouver une « préscience » de la sociabilité spontanée, un art du collectif que nous sollicitons de moins en moins. Faire vivre ces interstices entre le marché et l’Etat c’est tout simplement nous donner un espace pour respirer hors de nos préoccupations privées, des logiques d’intérêt, de la directivité des organisations.
Il n’y a pas de société vivante sans espace de « mixité », c'est-à-dire un certain désordre qui s’autorégule sans objectifs supérieurs, juste pour préserver la chaleur du lien. Refuser cela c’est empêcher la vie même de circuler entre nous, et nous condamner à vivre seul dans une ambiance de parking de centre commercial. L’approche communautaire peut modestement nous rappeler que vivre ensemble n’est pas un projet de service, ni une entreprise lucrative mais bien un défi constant que nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas relever.
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